Marcel et la girouette du clocher

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Roger était couvreur. Son métier consistait à offrir une nouvelle jeunesse aux toitures abimées. Celles des églises étaient sa spécialité. Comme il aimait le répéter en riant à Marcel, son jeune apprenti, il pouvait y travailler tranquille, près du Bon Dieu et loin des casse-pieds. Roger et Marcel parcouraient la France ensemble, passant d'un chantier à l'autre.

Ce matin là, ils arrivèrent dans un village dont les tuiles du clocher avaient grand besoin d'être remplacées. Marcel et son patron trouvèrent de quoi se loger puis se rendirent à l'église. Ils y installèrent leurs outils et montèrent sur le toit afin de l'inspecter. Comme il faisait beau, ils se mirent au travail sans tarder.

Marcel remarqua immédiatement une jolie girouette qui ornait le sommet du clocher. Elle avait la forme d'un coq bravant fièrement les éléments, debout sur une flèche. Malheureusement, comme personne ne s'en occupait jamais, la pauvre avait fini par rouiller. Ainsi, lorsque le vent soufflait vraiment fort, elle tournait péniblement dans un grincement de fatigue. Le reste du temps, elle demeurait immobile, prisonnière de la rouille et tributaire de bonnes volontés malheureusement trop rares.

Marcel était très soigneux dans son travail. Il écoutait avec attention les conseils de son vieux maître et les appliquait avec soin. C'était un beau et gentil jeune homme, toujours prêt à rendre service, qui faisait la fierté de ses parents. Lorsque le temps le permettait, Roger et lui aimaient à prendre leur déjeuner sur le toit, afin de contempler silencieusement le paysage. Ce jour là, ils ne s’en privèrent pas. Marcel en profita pour admirer la girouette de plus près. Il ne put que constater son état de délabrement. Après son repas, il prit un café avec Roger au bistrot du village et, avant de remonter sur le toit de l’église, glissa une burette d’huile dans sa poche. Il s’en servit pour décoincer la girouette qui, en guise de remerciement, se mit à danser au gré du vent, privée qu’elle était depuis trop longtemps de ce plaisir.

Roger et Marcel se remirent au travail, ce dernier jetant de temps à autre un coup d’œil satisfait à la girouette. Marcel se tourna alors vers son patron :
- Quoi, qu’est-ce que tu dis ?
- Rien.
- Tu ne m’as pas parlé ?
- Non mon garçon.

Etonné, Marcel repris son travail. Il lui avait pourtant bien semblé entendre quelqu’un lui parler, et qui cela aurait-il pu bien être à part Roger ? Il mit cela sur le compte de la fatigue due au voyage et continua de travailler jusqu’à ce qu’il redresse brusquement la tête.

- Ah, cette fois-ci tu m’as parlé !
- Mais non Marcel, tu entends des voix.
- Ah, je vois, c’est encore une de tes blagues…
- Mais non, pas du tout, je ne t’ai pas parlé !

Décontenancé, le jeune homme ne savait quoi penser. Il décida de travailler très silencieusement afin d’entendre, avec le plus de précision possible, d’où venait cette voix, dans l’espoir d’en identifier la source. Au bout de quelques minutes, il dut se rendre à l’évidence, aussi incroyable fut elle : la voix venait de la girouette et Roger ne semblait pas l’entendre.

En fin de journée, il resta seul sur le toit pour éclaircir ce mystère. Rapidement, il constata que, pour converser avec la girouette, il lui suffisait de penser.
- Je suis heureuse de t’avoir rencontré car, sur ce clocher, personne ne me rend jamais visite.
- Tu dois te sentir bien seule…
- Non, pas tant que cela.
- Comment fais-tu ? Moi je crois que je ne pourrais pas.
- Comme je suis placée entre le Bon Dieu et les gens qui le prient dans l’église, j’entends toutes leurs paroles monter vers le ciel. Ainsi, je ne m’ennuie pas trop.
- Cela doit être bizarre d’entendre ce qu’il y a au fond du cœur des gens. N’as-tu pas quelquefois envie de les aider ?
- Ce n’est pas l’envie qui manque, mais les moyens. Je ne suis qu’une pauvre girouette coincée sur le cocher. Je ne peux rien faire alors que, souvent, ce serait assez facile d’aider ces gens.
- Je ne voudrais pas avoir l’air indiscret, mais, si tu me répétais ce qu’il y a dans leurs prières, je pourrais peut-être faire quelque chose.
- Quelle bonne idée !

La première prière entendue par Marcel fut celle d’un homme au désespoir. Sa femme était malade et le médecin s’avouant désarmé, il implorait l’intervention divine. Cet émouvant appel au secours, laissa Marcel désemparé. La seconde prière fut celle d’une petite fille. Elle s’était disputée avec sa meilleure amie et ne savait que faire pour regagner son amitié. Lorsque la petite sortit de l’église, Marcel l’observa attentivement. Les jours suivants, il découvrit qui était cette amie perdue et alla lui parler. Grâce à cela, la paix revint entre les deux fillettes.

Avec sa complice la girouette, Marcel parvint, en une semaine, à exaucer de nombreuses prières. Dans le village, il acquit ainsi rapidement une réputation à la mesure de sa gentillesse. Dimanche matin, alors qu'il rendait visite à la girouette, la prière d'une vieille dame le toucha. Elle remerciait Dieu pour tous les bienfaits dont il la comblait, comme l'affection joyeuse et tendre de sa petite fille. Elle demandait juste un peu de courage pour affronter les douleurs liées à son grand âge qui rendaient son quotidien pénible. Cela lui faisait mal lorsqu'elle ouvrait ou fermait les portes, les fenêtres et les volets de sa maison, car ils se coinçaient souvent. Les buissons envahissaient son jardin car elle n'avait plus la force de les tailler. Pour bien des choses, la vieille dame dépendait du bon vouloir de toutes sortes de gens, et certains étaient suffisamment cruels pour bien le lui faire sentir. Comme il n'avait pas de projet pour sa journée de repos, Marcel empoigna sa trousse à outils et la suivit discrètement jusque chez elle. Il frappa à sa porte et lui proposa d’ajuster gratuitement ses portes, fenêtres et volets, car il avait entendu parler des ennuis qu’ils lui causaient. L’étonnement passé, la vieille dame accepta parce qu’elle sentit que Marcel proposait cela gentiment et honnêtement. Au bout d’une petite heure de travail, Marcel avait tout remis en état et la vieille dame ne tarissait pas d’éloges et de remerciements. Elle lui proposa de rester pour déjeuner avec elle, d’autant que sa petite fille devait venir la rejoindre pour le repas du dimanche. Cela sentait bon dans sa cuisine ; Marcel accepta avec gourmandise.

Une jolie jeune femme, souriante et fraîche, frappa à la porte de la vieille dame. C'était Julie, sa petite fille, qui apportait le dessert pour déjeuner, comme chaque dimanche. Les présentations faites, elle remercia chaleureusement Marcel. Charmé par Julie, il était aux anges.

Quelques semaines plus tard, une fois les réparations terminées sur le toit de l'église, Marcel expliqua à Roger qu'il était amoureux de Julie et, qu'à cause de cela, il voulait rester dans ce village. Roger l'aida à trouver du travail auprès du charpentier qui cherchait justement un bon ouvrier. La suite de l'histoire ? A toi de l'imaginer...

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